mardi 5 juillet 2016

Rencontre avec Julien Clerc (17 juin 2016, St John’s College)

Quel honneur, pour fêter les 10 ans de Cinéma et Culture Française à Oxford, que d’accueillir Julien Clerc dans le somptueux décor de l’auditorium de St John’s College !


En 2006, Jean-Claude Carrière inaugurait nos événements francophones et plus de 30 invités se sont succédé depuis. 10 ans plus tard, quasiment jour pour jour, c’est au tour du grand mélodiste français de venir nous parler de ses 50 ans sur la scène musicale. Tonnerre d’applaudissements et ovation du public composé de fans invétérés de Julien Clerc, dont certains (on l’apprendra par la suite) ont déjà assisté à plus de 600 représentations du chanteur ! 

Alors par où commencer quand on a la chance d’interviewer un chanteur qui a une place privilégiée dans le cœur des Français ? On revient d’abord sur les milieux musicaux dont il était imprégné très jeune : le jazz, Brassens, la musique classique, sans oublier l’influence de la poésie. En 1948, l’artiste fait partie de ces enfants « pionniers » confiés à leur père. Entouré des deux côtés de femmes qui aiment la musique, Julien Clerc conçoit vite la musique comme une affaire de femmes. Par ailleurs, le futur chanteur est encouragé par son père, agrégé de Lettres, à garder ses langues vivantes. Un conseil qu’il ne regrette pas d’avoir suivi puisque son don pour l’anglais s’est révélé utile dans une carrière qui l’a beaucoup amené à travailler avec des Anglais et Américains.  

Ce sera à l’occasion de vacances en Corse que Julien Clerc va prendre conscience de son grand capital, sa voix. Il dépanne en chantant dans une boîte et, de retour à Paris, il chante dans des soirées privées pour gagner de l’argent de poche. Malgré ces premiers succès, la famille intellectuelle dans laquelle évolue le jeune chanteur se méfie de l’univers de la chanson. Avant de se lancer dans l’écriture de ses propres chansons, Julien Clerc se concentre sur ses cours de piano et s’entraîne en essayant de reproduire des mélodies qui lui plaisent. 

On découvre un lieu clé de la carrière de Julien Clerc, L’écritoire, le bistro de la Place de la Sorbonne où le jeune chanteur lance un appel pour trouver un parolier. C’est dans ce bistro, fréquenté par les étudiants de la Sorbonne et qui se vide aux heures de cours, que Julien Clerc passe à l’époque le plus clair de son temps à réfléchir au style de chansons qu’il veut composer … des « textes pour faire chanter les gens mais avec du sens, comme ceux de Dylan, des textes poétiques capables de faire vibrer le public », nous dit-il. 

Un flashback sur l’année 1969 nous replonge dans la comédie musicale londonienne Hair. Si Julien Clerc refuse d’abord d’y participer, il décide de faire le déplacement dans la capitale britannique pour voir de quoi il s’agit. Pour donner un peu de contexte à son premier refus, il revient sur l’année d’avant : son début de carrière, son premier disque qui vient de sortir et les tournées qui s’enchaînent, les choses qui se bousculent très vite pour le chanteur, qui fait la première partie de Bécaud à l’Olympia. Le côté révolutionnaire de la comédie musicale Hair attire Julien Clerc en raison notamment du nombre impressionnant de tubes à succès. Une fois rentré à Paris, il accepte de chanter dans Hair, non sans quelques petites exigences. Ce sera 9 mois de représentations et une expérience très enrichissante de sa carrière.

On consacre un peu de temps à un autre événement marquant de la carrière du chanteur, le contexte politique de la chanson L’assassin assassiné. En 1980, le chanteur fait le trajet Toulouse-Paris en train avec l’illustre Robert Badinter. Julien Clerc revient sur l’ambiance pesante du procès, sur cette époque difficile en France et la problématique, qu’il qualifie de « brûlante », de l’abolition de la peine de mort. Durant ce procès, l’avocat Robert Badinter avait pris la cause abolitionnisme à bras le corps, acceptant de défendre un récidiviste déjà condamné à mort à Albi et rejugé à Toulouse à cause d’un vice de forme. À l’issue du procès historique, Julien Clerc, qui nous confiera plus tard qu’il aime être bousculé par les paroliers, reçoit une lettre de Robert Badinter dans laquelle l’avocat le félicite de sa chanson qui, dit-il, « a fait plus pour la cause abolitionniste que les débats ». 

Une autre question a trait à un aspect technique et fascinant du métier de l’artiste, c’est-à-dire le travail que le chanteur a effectué sur sa voix aux côtés de Madame Charlot. Julien Clerc compare ce travail à un entraînement d’athlète, ajoutant que ces cours de chant lui ont donné l’occasion de s’entraîner rigoureusement et que Madame Charlot lui a ouvert les yeux sur les mystères de la voix, ainsi que l’importance du mental lorsqu’un chanteur doute ou a peur de chanter moins bien. Pour le mélodiste, ce travail de longue haleine sur la voix constitue avant tout un travail sur soi et partage un terrain commun avec le monde sportif et le yoga.

Le chanteur revient ensuite sur son travail avec les paroliers. Comment trouve-t-il ses paroliers ? Le « sang neuf », les nouvelles plumes l’aident-ils à se renouveler musicalement ? Julien Clerc nous confie que son regard sur lui-même a évolué tout au long de sa carrière, avouant qu’à 20 ans, sa timidité a pu être interprétée comme de l’arrogance. Il nous rappelle l’admiration qu’il avait, dès ses débuts, pour les gens qui s’inscrivaient dans la longueur. Au fil des années, il a commencé à réaliser qu’une relation avec un parolier ne pouvait pas durer toute une vie. Pour illustrer les habitudes qui peuvent se prendre, il cite la chanson des vieux amants, dans laquelle Brel dit « je sais tous tes sortilèges ». Il poursuit sur cette image en disant que c’est en cherchant un nouveau parolier qu’un chanteur arrive à trouver de nouveaux sortilèges.
À propos des textes justement, qu’est-ce que Julien Clerc recherche dans un texte ? La réponse est sans équivoque : le texte a une grande valeur, il doit « commander ». Pour cela, il faut soit l’écrire d’abord et faire suivre la musique, soit donner la musique à un auteur. Tout en reconnaissant la force des textes de musiciens anglophones comme Bob Dylan, l’idole des Français évoque la tradition « poétisante » de la chanson française.

Si Julien Clerc trouve plus  facile de mettre un texte en musique, il est évident pour lui que c’est l’approche choisie pour composer une chanson qui définit celle-ci. Et quoi de mieux pour toujours se renouveler musicalement que d’inviter à chaque fois de nouveaux arrivants, de permettre à chaque génération de produire son propre genre d’écriture, de traiter les mêmes sujets sous un angle différent ? Avec Vianney et Beaupain, on voit bien que la génération actuelle n’a pas perdu l’amour du texte.

Le public interroge ensuite Julien Clerc sur la différence entre composer pour soi et composer pour les autres. Il n’y a pas de grande différence, nous dit-il, mais pour sa part, il se concentre sur les octaves en fonction du chanteur pour lequel il compose. On comprend bien que composer pour Carla Bruni n’est pas la même chose que composer pour Isabelle Boulay ! Au niveau du travail de composition, le chanteur a la même attitude depuis 45 ans : il se met devant son piano et attend que l’émotion vienne.

Avant de s’installer à son piano pour chanter « Le patineur », « Ce n’est rien » et « Ma préférence » aux côtés d’un public envoûté, Julien Clerc finit sur une petite anecdote au sujet de la chanson « Le patineur », qui fait référence au tableau exposé à la National Gallery of Scotland, du célèbre peintre Raeburn, fierté nationale des Écossais. Se renseignant au Louvre, Julien Clerc apprend que le tableau a en fait été réalisé par un peintre français (Henri-Pierre Danloux). Quand les Écossais l’ont appris, leur réaction a été de dire qu’il valait mieux que ce soit un Français qu’un Anglais !

C’est avec peine que le public se sépare de son chanteur préféré. Il faudra interrompre les applaudissements pour remercier l’artiste qui repart comme il est venu, un grand sourire aux lèvres et plein de charme et de sympathie.

Thank you Julien pour ce cadeau d’anniversaire qui restera marqué dans nos mémoires. 

Événement organisé par Dr Michaël Abecassis,
Cinéma et Culture Française à Oxford
Article rédigé par Amandine Lepers-Thornton (juillet 2016)

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